L'univers
(Odos,
Socrate, Eurythmos, Philippès, Euthyme)
Philippès
Socrate, malgré mon désaccord évident sur cette
question et qui l'a toujours été , je
reconnais que tu as quelque peu semé le doute en moi. Mais,
que crois-tu ? Ne sommes-nous pas de matière ? Ne sommes-nous
pas entièrement physiques, et n'est-il pas vrai qu'il n'existe
pas d'autre vie que celle-ci, maintenant ? Allons, Socrate, reconnais
le et admets que tu ne peux rien y faire !
Socrate
Je peux peut-être commencer par répondre à tes
questions ?
Philippès
Je t'en prie. Alors, commence par celle-ci : nieras-tu que toute
chose ici-bas est déterminée ? Nieras-tu que
chaque événement ou phénomène est
prévisible au moyen de la science et des mathématiques
? Les particules, en effet, suivent des trajets ordonnés et ne
sont pas libres de leur mouvement.
Socrate
Je ne le nie pas.
Philippès
Alors, pourquoi affirmes-tu que la liberté existe ? Il est
évident que, si tout est déterminé, il n'existe
aucune liberté, où que ce soit, mais que toute chose,
l'esprit y compris, est dépendante. Alors, nous pouvons
peut-être croire en l'esprit, mais nous ne pouvons pas croire à
la décision, ni que l'esprit est la décision puisque
nulle part ici bas, ni dans la matière, ni dans les éléments,
ni dans dans notre univers tout entier, les scientifiques n'ont pu en
trouver la trace.
Socrate
Mais, très cher Philippès, quand donc ai-je dit que
l'esprit était de notre univers ? J'ai reconnu que ce qui
était ici-bas était dépendant. Mais l'esprit
n'est pas nécessairement matériel et il n'est donc pas
nécessairement dépendant.
Philippès
Si tu as raison, Socrate, c'est impossible de le prouver.
Socrate
Il est du moins impossible de prouver l'inverse. Et il est
audacieux, voire presque absurde, de prétendre que la liberté
n'existe pas, puisque il est de mon avis que son existence repose sur
ce qu'il y a de plus fondamental : l'esprit, c'est nous, c'est
l'observateur. Sans observateur, pas d'observation. Les perceptions
sensorielles, dans l'ordre des preuves, viennent seulement après
l'esprit, après nous. S'il fallait douter de quelque chose, je
pense que ce serait davantage de tout ce qui nous entoure que de
nous-même. N'est-ce pas ?
Philippès
Peut-être.
Socrate
Mais quoi, quelle est la valeur de ces perceptions ? Bien que, à
mon avis, on ne doive pas les remettre en cause, il faudrait savoir,
je pense, si elles nous disent bien tout !
Philippès
Comment ça ?
Socrate
N'as-tu jamais remarqué que la vue ne faisait que voir ?
Que l'ouïe ne faisait qu'entendre ?
Philippès
Ce que tu me dis est évident, Socrate !
Socrate
Et s'il existait d'autres sens dont tu n'as pas les organes, j'ai la
certitude que tu ne pourrais pas les connaître, ni moi.
D'aucune façon. Mon ami, nos sens étant tous physiques,
ils ne pourront jamais mesurer ce qui est physique...
Philippès
Alors, nous sommes selon toi dans une ignorance définitive ?
Philippès
Peut-être pas. Je pourrais, si tu me l'accordais, faire une
petite transgression bien utile, puisqu'elle proposerait une solution
à l'ensemble des questions pour lesquelles nous n'avons pas
encore de réponse...
En fait, l'interrogation est beaucoup plus vaste, ce me semble, que
tu ne peux le penser. Et donc, le problème est lui aussi
beaucoup plus vaste. Et si j'y réponds, j'aurai le malheur de
susciter bien d'autres interrogations qu'il faudra satisfaire elles
aussi.
Euthyme
Allons, tu crois que nous allons laisser passer cela ? Fais-le !
Socrate
En nous demandant si la liberté existe dans ce monde
matériel, nous devons d'abord nous interroger sur ce monde
matériel.
Philippès
Qu'entends-tu par « monde matériel »,
Socrate ?
Socrate
Je veux parler de celui que nos sens perçoivent par
opposition au véritable univers, « l'univers
total », celui qui contient l'univers matériel et
beaucoup d'autres, mais que nos sens ne perçoivent pas.
Philippès
J'ai compris.
Socrate
Or, n'as-tu pas remarqué que pour la majorité des
hommes, « l'univers total » et l'univers
matériel n'étaient qu'une seule et même chose.
Philippès
Si, et je fais partie de ces hommes.
Socrate
Mais quoi ? Qu'entendons-nous lorsque nous disons « univers »
? Nous désignons ainsi toute chose qui est, n'est-ce pas ?
Philippès
Si.
Socrate
Ainsi, en définition rien n'est hors ni au-delà de
l'univers. Pourtant, « l'univers matériel »
suggère sans erreur possible que quelque chose est au-delà.
Philippès
Comment ?! Que veux-tu dire ? De quoi parles-tu ?
Socrate
Je parle des lois qui régissent notre univers. Lorsque un
objet tombe, il y a une raison et cette raison est l'attraction
terrestre, n'est-ce pas ?
Philippès
Bien sûr.
Socrate
Et de même, cette attraction terrestre tire sa raison d'une
loi de l'univers.
Philippès
Oui.
Socrate
Mais, la raison de cette loi est introuvable où que ce soit à
l'intérieur de l'univers. Car les lois sont, en ultime
analyse, arbitraires.
Philippès
Explique-toi.
Socrate
Je m'explique : pourquoi ce qui tombe va-t-il à telle vitesse
et non plus ou moins rapidement ? Pourquoi, au lieu de tomber,
cela ne s'envolerait pas ? Pourquoi y-a-t-il la lumière et la
nuit ? Pourquoi ne voyons-nous que trois couleurs de base, et non dix
? Et pourquoi la couleur elle-même existe ? Ce sont là
des choses inexplicables scientifiquement que l'on se contente de
décrire sans en connaître le pourquoi. Autant dire que,
contrairement, à certaines choses dont nous pouvons découvrir
les raisons parce qu'elles sont dans cet « univers
matériel », ces phénomènes
descriptibles mais inexplicables proviennent de raisons au-delà
de l'univers.
Philippès
Pourquoi ça, à ton avis ?
Socrate
Eh bien, je crois que «l'univers total» est par
définition total, et donc plus vaste que celui que nos sens
perçoivent. Il n'est pas limité. «L'univers
matériel» est, avec ses caractéristiques
précises, une variété d'univers, l'une des
dimensions du tout. Elle trouve sa raison dans l'infinité des
univers, dont chacun est une variation et explique que, dans le lot,
il y en ait un qui soit le nôtre.
Philippès
Je ne comprends pas tout à fait.
Socrate
Mon cher ami, ne dit-on pas que le chaud existe parce que le froid
existe ?
Philippès
Si.
Socrate
Pourtant, prétendre que le froid existe parce que le chaud
existe n'est pas le type d'explication qu'un scientifique admettrait,
car il trouverait au contraire des causes comme la neige, la glace,
l'obscurité... Mais, c'est néanmoins l'explication
réelle, car elle répond véritablement à
la question : pour quelle raison le froid existe ? Cette raison
est la température, laquelle regroupe le froid et toutes les
autres variétés de température : chaud et tiède.
De même, si l'on se demande quelle est la raison de la
température, on ne peut y répondre qu'en trouvant un
ensemble qui réunit la température à d'autres
lois sous l'égide d'un système de loi. Ces systèmes
de lois, chacun différent, sont également regroupés
sous un ensemble ultime qui en contient toutes les variétés.
Philippès
En effet.
Socrate
Il en va exactement de même concernant notre univers matériel
et sa place dans l'univers total. Imaginons, mon cher Philippès,
que nous soyons des poissons dans un lac. Imaginons également
que nous soyons des poissons savants, étudiant notre univers
et tentant de comprendre le fonctionnement d'un certain nombre de
phénomènes. Par exemple, nous expliquerions la nage en
étudiant la nature de l'eau, notre forme hydrodynamique ainsi
que notre poids et notre taille. Nous pourrions comprendre un certain
nombre de phénomènes propres au lac, mais non pas le
lac. Nous serions toujours sans réponse à son sujet,
inventant des tonnes d'explications sur sa genèse ou son
mécanisme mais sans rien découvrir qui nous renseigne
vraiment sur le pourquoi... Comment nous viendrait-il à l'idée
que le lac existe tout simplement parce qu'une infinité de
lieux existent, et que parmi eux, comme le chaud et le froid dans la
température, il y a des océans, des terres émergées,
des planètes, et un petit lac, qui est le nôtre...
Philippès
Je crois que nous aurions beaucoup de mal. Et qu'est-ce que cela
implique sur notre univers ?
Socrate
Qu'il n'est qu'une variété ! Et il en résulte
nécessairement qu'une infinité d'autres variétés
ayant chacune des lois physiques différentes existent. Si nous
étions dans un univers bleu, nous ne nous en rendrions pas
compte parce que nous serions bleus nous même ! Voilà
pourquoi nous n'imaginons le véritable univers, sans limite,
dans lequel le nôtre est contenu ! As-tu compris ce que je
voulais dire ?
Philippès
Oui. Mais, alors, quel est le véritable univers ?
Socrate
C'est le tout, l'infini, il n'a ni forme ni limite. Qui plus est, il
ne s'agit pas d'un infini spatial et temporel, puisqu'il n'est sujet
à rien. Au contraire, et le temps et l'espace lui sont sujet.
Nous l'appelons «l'être». La moins mauvaise des
visions qu'on pourrait en avoir serait une essence infinie, répandant
son être en toutes ses extrémités infinie,
superposant une infinité d'états, dynamisant toute
chose, ultraconscient de ce qui est pour y donner sa forme, son
activité....
Mais au-delà de lui, il n'est pas de raisons qu'on puisse
trouver. Comme il est le tout, et le tout étant compris dans
le tout, l'univers total est sa propre cause et conséquence !
Philippès
Socrate, voilà qui est épatant, mais où est le
rapport avec la liberté ?
Socrate
Il est bien là ! Un univers que rien ne domine et dont aucune
forme n'est plus importante qu'une autre, il n'est dépendant
de rien et il s'exprime d'une façon infinie. Il comporte
l'essence de la liberté, il est absolument vide d'envies et de
stimuli...
Philippès
Tu as prouvé que la liberté existait, mais tu n'as pas
prouvé qu'elle existait dans l'homme. Alors, continue, car ton
raisonnement ne me prouve toujours rien.
Socrate
Pour continuer, je n'ai pas d'autre choix que de transgresser
davantage. Il me faut absolument procéder à une analyse
du temps et en donner une définition, si tant est qu'on puisse
le faire.
Philippès
Tu as cette manie de te faire prier. Allons fais-le, et nous
jugerons ensuite si tu en as été capable.
Socrate
D'accord. La clef de toute cette énigme qui concerne à
la fois l'esprit, la liberté et l'univers, me semble être
le temps. Et comme pour chacun des sujets que nous avons étudiés
jusqu'alors, on ne peut comprendre le temps qu'en discernant
clairement sa raison d'être. Je crois que c'est en répondant
à cette question que nous comprendrons ce qu'est le temps.
Selon toi, Philippès, à quoi sert le temps ?
Philippès
Je ne sais pas. Mais je suis sûr que tu le sais, toi.
Socrate
Soit, j'en ai du moins une petite idée.
Philippès
Nous t'écoutons.
Socrate
Chaque objet, selon moi, occupe une position dans l'espace à
un moment donné. C'est la nature même de la matière,
de l'espace et de cet univers physique. N'est-ce pas ?
Philippès
Oui.
Socrate
Il en résulte qu'un objet ne peut pas avoir deux positions en
un moment donné.
Philippès
C'est certain.
Socrate
Voilà. Nous venons de découvrir la raison d'être
du temps.
Philippès
Ah bon ? Je n'ai rien vu venir !
Socrate
En fait, si l'on veut qu'un objet occupe une position différente,
il peut l'occuper, mais ne l'occupe pas au même moment qu'il
occupait la position précédente. Si on déplace
cet objet en question, le temps est chacune des situations que cet
objet a connues. Es-tu d'accord ?
Philippès
Je le suis.
Socrate
Alors, que dirons-nous du temps ? Pourquoi existe-t-il ?
Philippès
Si j'ai bien compris ton raisonnement, je dirais qu'il existe afin
de différencier chaque état physique. N'est-ce pas ?
Socrate
Parfaitement, et il en résulte que, sans le mouvement, il
n'existe pas de temps ; et que, sans matière, pas de
mouvement, donc pas de temps.
Philippès
Socrate, ce schéma est trop simple pour être vrai ! Ce
que des savants ont mis des années ou des siècles à
étudier, en utilisant les formules mathématiques les
plus complexes, tu y réponds en quelques phrases ?
Socrate
Mais le temps est simple. On le perçoit, on le côtoie,
et bien qu'on ait des difficultés à se l'expliquer, ce
n'est pourtant pas une chose compliquée. Étant de
nature perceptible, il est fondamentalement simple.
Philippès
Soit, admettons que ta définition du temps soit la bonne.
Qu'en résulte-t-il ?
Socrate
Ceci. Si le temps n'existe que parce que la matière existe,
alors que dirions-nous d'une chose qui n'est pas matérielle ?
Philippès
Je crois qu'on dirait qu'elle n'est pas non plus temporelle. Est-ce
bien là la conséquence de ton raisonnement ?
Socrate
Oui. Mais quoi ? La liberté est-elle matérielle ou non
?
Philippès
La liberté n'existe pas, cher Socrate, sinon, pour te faire
plaisir je dirais qu'elle est immatérielle, car toute chose
matérielle est déterminée, ce qui est par nature
contraire à la liberté.
Socrate
Fort bien, cher Philippès. Par conséquent, je crois
que nous pourrons l'admettre toi et moi, la liberté est, si
elle existe, à la fois immatérielle et intemporelle ?
Philippès
Je l'admets.
Socrate
Dans ce cas, comment serait l'esprit de l'homme ? Dans le temps, ou
au-delà du temps ?
Philippès
Au-delà du temps, puisque nous avons dit que l'esprit est
libre.
Socrate
Et l'univers total, avons-nous dit qu'il était dans le temps
ou au-delà ?
Philippès
Au-delà du temps, puisque le temps dépend de
l'univers, et non l'univers du temps.
Socrate
Enfin, l'univers total n'est-il pas de même nature que nous,
un esprit ?
Philippès
Comment ?
Socrate
Par l'organisation de chaque chose ! Comme nous l'avons dit, rien
n'est le fait du hasard. Les particules, lorsqu'elles se promènent,
ne choisissent pas au hasard leur direction, leur aspect, et leurs
réactions... Cette précision dont tu parlais tout à
l'heure pour expliquer qu'il n'y a pas de liberté dans
l'univers me fait dire à moi le contraire. Tout est ordonné
à la perfection, c'est comme si chaque particule recevait
l'ordre d'obéir à une loi et de trouver sa place à
tel ou tel endroit, et comme si chaque force recevait l'ordre
d'intervenir à tel ou tel moment.
Quel but anime donc chacune de ses particules qui exécutent
leurs directives avec un méthodisme parfait ? Quel génie
est derrière tout ça ?
Philippès
Socrate, je te le demande !
Socrate
Eh bien, mon cher Philippès, je crois qu'une telle attention,
une si grande précision d'exécution suggère un
but important et une volonté présente dans tout
mouvement. Et de même, que que nos gestes émanent de
notre esprit, qu'ils sont plus précis et efficaces à
mesure que notre esprit si exprime de toute sa force, la précision
extrêmement parfaite des trajectoires des atomes est le fait
d'un esprit qui y met toute sa force.
Philippès
Tu as bien retourné mon observation à ton avantage !
Socrate
Comme l'esprit de l'homme, l'univers est libre, plein de vigueur et
de volonté. Comme l'esprit de l'homme, il est au-delà
du temps. Il n'y a pas à réfléchir davantage, la
conclusion nous saute aux yeux. Ce que fait l'homme, lorsqu'il se
meut ou lorsqu'il pense, ou lorsqu'il prend n'importe quelle
décision, il créé. Que créé-t-il ?
Je vais te le dire... Il commande à la matière hors du
temps, se place au tout début et, en donnant ses ordres,
prédestine les mouvements des particules qui le composent
depuis une infinité de temps... D'où une
synchronisation parfaite entre nos décisions et nos gestes,
bien que particules ont une route fixe depuis l'aube des temps. Nous
ne modifions pas le futur, mais le passé ! L'univers et
l'esprit de l'homme sont donc en réalité deux états
d'une même chose.
Philippès
Socrate, tu as beau te prétendre ignorant, comme tu es plus
savant que moi !
Eurythmos
Et moi.
Philippès
Les hommes vont-ils arrêter de se poser des questions ?
N'y-a-t-il plus rien à dire ?
Eurythmos
Et nous, que faisons-nous ici, dans cet univers, parmi cet ordre des
choses ? Avons-nous déjà répondu à cette
question ? Il reste donc quelque chose à dire. Ou du moins, il
reste à le dire autrement que tu ne l'avais dit, Philippès.
Ne croyais-tu pas que le plaisir était la raison d'être
de notre existence ?
Philippès
Si, je le croyais. Et désormais, quel serait selon Socrate le
but de notre existence ?
Socrate
Sur ce, je ne peux rien dire, ou si peu. Il faut dire que je suis
comme vous tous. Je n'ai pas une connaissance de moi-même très
grande, bien que je travaille à l'augmenter et à me
souvenir. J'ai la décision comme une nature semblable à
l'univers, et l'oubli comme une seconde nature, contraire à
l'univers. Ou vais-je ? Je crois que les légendes apportent
chacune un élément de réponse. Certaines
prétendent que l'homme tombe dans un abysse sans fond,
l'Hadès. Ne serait-ce pas là une image assez fidèle
du néant, celui qui nous attend si nous oublions ? À
l'inverse, d'autres fables prétendent que nous faisons à
notre mort alors partie de Dieu et que nous reposons véritablement
en paix. Ne serait-ce pas là aussi une image assez fidèle
de l'infini, celui qui nous attend si nous nous réveillons ?
Philippès
Il me semble.
Socrate
Alors, quoi qu'il en soit, cette vie est une occasion immense
puisqu'elle permet d'évoluer. Mais cela implique aussi que
cette vie n'est pas une fin en soi, et que la fin est au-delà
de la mort.
Philippès
Je crains que tu doives expliquer davantage.
Socrate
Celui qui quitte son corps ne quitte-t-il pas la matière ? Et
celui qui quitte la matière ne quitte-t-il pas le temps ?
Philippès
Oui, c'est en tout cas la conséquence de ce que nous avons
dit jusque là.
Socrate
Alors, dès qu'il meurt, l'homme est propulsé
hors du cours linéaire du temps. Il ne vit plus comme avant,
instant par instant, mais dans un état de superposition
contemplative. Je me fais que m'appuyer sur les expériences
que l'on m'a conté. Beaucoup de ceux qui ont frôlé
la mort sur le champ de bataille n'ont-il pas déclaré
avoir contemplé leur vie comme un panorama ? Les notions de
temps et d'individualités étaient envolées,
comme la peur, les envies et toutes ces choses propres à
l'homme. C'est comme si ils avaient pendant un instant été
séparés de leur corps.
Philippès
En effet.
Socrate
Eh bien, la vie est ce moment de choix, dont il faut profiter pour
évoluer vers plus d'esprit et plus de liberté. Je crois
pour ma part qu'il y a deux moyens de le faire.
Philippès
Lesquels ?
Socrate
Se rendre indépendant à l'égard des envies qui
tentent de dominer l'esprit est, je le crois, le premier moyen.
Philippès
Oui, en effet, c'est la conséquence logique de ce
raisonnement. Et quel est le deuxième moyen ?
Socrate
Quitter notre individualité, aimer les êtres comme si
nous étions nous-mêmes l'univers rempli d'attention pour
sa création. L'individualité n'est que le propre des
animaux en compétition les uns contre les autres pour la
survie. Nous devons nous aimer non pas, toutefois, comme des animaux
qui s'accouplent mais en tant qu'esprits. Ainsi pourrions-nous
conclure que c'est ainsi que l'on agit bien et que, sans s'en rendre
compte, on se rappelle sa nature divine.
Livre gratuit : l'auteur souhaite que ce livre soit gratuit et accessible
pour tous, car la sagesse est inspirée gratuitement
et anonymement par la divinité elle même. Vous pouvez l'imprimer
et le diffuser autant que vous souhaitez. (Tous droits réservés Elie Béteille)